Dans mon monde, il n’y avait qu’ombre et mélancolie. Une routine quotidienne réglée comme un
métronome. Une envie de hurler ma souffrance. Une voix qui se brise et se perd dans les méandres
du silence.
Dans mon monde, je n'étais qu'un pantin. Un robot sans âme se levant et se couchant à la même
heure mais ne dormant pas. Un robot effectuant toujours le même trajet, dans le même bus, pour se
rendre à ce travail où rien ne détonnait.
Dans mon monde, gris et sans vie, seule cette fille irradiait. Elle était toujours à la même place, dans
le même bus. Elle restait toujours le nez plongé dans un livre, ses cheveux blonds ondulant sur ses
épaules, jusqu’à l’arrêt où elle descendait à chaque fois. Et chaque jour, je ne pouvais m’empêcher de
la détailler, comme si elle allait disparaître le lendemain. Sauf qu’elle revenait toujours et je la
regardais jusqu’à ce qu’elle descende et ne disparaisse de mon champ de vision.
Mais un jour, cette routine fut brisée.
Tout avait commencé comme d’habitude. Elle était trois places devant moi, à côté de la fenêtre. Elle
tournait délicatement les pages de son livre comme si elle avait peur de l’abîmer. Puis, alors que le
bus s’était arrêté pour la huitième fois, elle avait précipitamment fermé son livre et était descendue
dans un bruissement léger. Sa robe flottait derrière elle tandis qu’elle s'éloignait et je continuais à
détailler cet ange qui ne m’avait sûrement jamais remarqué.
Sa place vide avait laissé mon monde dans le brouillard grisâtre qui m’habitait et, comme chaque
jour, je ressentais ce picotement désagréable dans ma gorge suite à son départ. Mais ce jour-là, sa
place n’était pas vide. Un carnet noir reposait sur le siège, seul vestige de la présence passée de cette
fille.
Ce jour-là, le robot que j’étais s’était déréglé. Ce jour-là, pour la première fois, je me suis levé de mon
siège avant le terminus. Ce jour-là, le petit carnet dans la main, je suis descendu bien avant ma
destination. Et j’ai couru. J’ai couru comme je n’avais jamais couru, à en perdre le souffle, à
m’écorcher les poumons. Mais je ne l’ai jamais rattrapée. Elle s’était évaporée et ne me restait d’elle
que ce carnet.
Je suis resté là, pantelant, scrutant frénétiquement les alentours tel un enfant perdu dans la foule,
espérant la voir réapparaître. Mais ce ne fut pas le cas. Alors, ne sachant que faire, je suis rentré chez
moi, dans mon petit appartement minimaliste et sans vie. Assis sur le bord de mon lit, j’ai longtemps
détaillé ce carnet. La couverture d’un noir profond était parsemée de papillons dorés. Même dans
cette illustration je ne voyais qu’elle. Scintillante au milieu de ma noirceur.
Lentement, j’ai ouvert le carnet, révélant les premières pages. Des poèmes, des dessins à l’encre
noire, des mots nonchalamment jetés sur le papier qui les avait absorbés comme s’ils avaient
toujours été là. Des dizaines de feuilles recouvertes de pensées profondes, d’interrogations et de
morceaux de vie. Puis, à la fin, une liste.
“A faire avant de partir”.
Une trentaine de points. Certains rayés, certains annotés, certains cochés. Aller voir les aurores
boréales. Se perdre dans le silence. Se baigner dans un lac. Observer les étoiles. Tant d’idées d’expéditions et d’expériences qu’il m’aurait sûrement fallu plus d’une vie pour ne serait-ce que
trouver la motivation d’en réaliser une. Elle, elle en avait déjà fait une bonne partie.
Pour la première fois depuis bien longtemps, j’avais dormi cette nuit-là. Mieux encore, j’avais rêvé.
Rêvé d’elle, au milieu d’un lac où se reflétaient des milliers d’étoiles. Rêvé de son sourire. J’avais souri
en retour.
Mon cœur s’est arrêté un instant lorsqu’elle est remontée dans le bus le lendemain. Elle s’est assise à
la même place mais son regard s’est perdu dans le paysage défilant derrière la vitre plutôt que sur les
pages d’un livre. Je l’ai regardée, cherchant le courage de lui parler. Son carnet était serré contre moi,
comme un ancrage auquel je m’accrochais désespérément. Puis le bus s’est arrêté et elle s’est levée.
Sans réfléchir, je suis descendu à sa suite.
Je lui ai couru après, lui demandant d’attendre. Elle s’est retournée vers moi et pour la première fois
j’ai eu le loisir de détailler ses yeux. Bleus comme le lac de mon rêve. Brillants comme les étoiles dont
le reflet ondulait au gré des flots. Elle me regardait, en attente d’une réponse. Et moi, incapable de
formuler une phrase cohérente, je me suis contenté de lui tendre brusquement son carnet. Son
visage s’est alors illuminé et elle m’a souri. Ce sourire dont j’ai rêvé.
“Je l’ai cherché partout ! Merci beaucoup ! Je t’en dois une !”
Je lui ai souri en retour. Sa voix était douce. Cristalline. Celle d’un ange. Elle m’a salué et a tourné les
talons. Avant que je ne puisse me rétracter, les mots avaient franchi mes lèvres.
“C’est quoi cette liste ?”
Le regard qu’elle avait de nouveau posé sur moi s’était désormais assombri. Et j’ai eu envie de
m’arracher la langue.
“Tu l’as lu ?
- Je... Je voulais te retrouver. Désolé.”
Elle avait baissé les yeux et cette vision me donnait la nausée. J’ai alors fait demi-tour mais mon élan
a été coupé par sa réponse.
“C’est une liste de choses que je veux faire avant de mourir.
- Avant... de mourir ?”
Je me suis retourné, noyant mon regard dans ses billes bleues.
“Rien ne te dit que tu vivras jusqu’à demain.”
Voilà que le papillon de lumière que j’observais voleter depuis des mois parlait de la même manière
que moi.
“C’est idiot hein ?”
J’ai simplement hoché la tête en guise de négation. Elle a continué.
“Je m’appelle Abigaïl. Mais je préfère Abbie. Et toi ?
- ... Tristan.
- Tu as du temps pour marcher avec moi Tristan ?”
J’ai haussé les épaules et elle m’a fait signe de la suivre. Elle m’a emmené dans un parc et nous nous
sommes assis sur un banc. Elle me parlait d’elle et j’écoutais. Elle lisait des manuscrits en passe d’être
publiés. C’était une rêveuse qui vivait l’instant présent. Un esprit libre en quête d’aventures.
Lorsqu’elle m’a demandé ce que je faisais, je n'ai pas su quoi répondre. Tout était tellement devenu
automatique que j’en avais oublié ce que je faisais de mes journées. Elle a semblé amusée de la
réponse. C’était la première fois que quelqu’un oubliait ce qu’il faisait pour gagner sa vie. Puis son
regard s’est perdu dans le mouvement des branches au-dessus de nos têtes.
“Cette liste... Je l’ai commencée y a un an. Je la mets à jour tout le temps. Et j’essaie de tout faire.
- Pourquoi ?
- Elle m’aide à dessiner mon avenir, disons. Elle me donne une trajectoire à suivre. Elle me permet de
rendre chaque jour important. Comme si ça allait être le dernier.
- Tu es à la fois rayonnante et pessimiste.”
Encore une envie de m’arracher la langue. Elle m’a regardée, surprise par mon compliment incertain
avant de sourire tristement.
“Pas vraiment. Tout dépend de comment tu le vois. Elle me permet de savourer la vie. De profiter de
chaque brin de bonheur qu’elle m’apporte. C’est une bouée de sauvetage.”
J’ai haussé les épaules avec un soupir. Elle s’est contentée de me sourire.
“Tu fais quoi samedi ?
- Pourquoi tu veux savoir ça ?
- Parce que je pense que tu aurais bien besoin d’une liste toi aussi.
- Si tu le dis.
- Tu verras que c’est pas si mal d’en avoir une. Fais-moi confiance.”
Elle s’est levée et un coup de vent a ramené ses cheveux devant elle. Les glissant derrière son oreille
elle a repris.
“Rendez-vous ici samedi à dix heures. Apporte de quoi écrire.”
Elle a posé un doigt accusateur sur ma poitrine.
“Tu as intérêt à être là.”
C’est ainsi qu’elle a continué son chemin, me laissant seul sur ce banc. Et pour la première fois depuis
longtemps, j’ai ressenti de l’apaisement. Une plénitude.
Le samedi est arrivé avec un soleil d’été. Je l’ai retrouvée au parc et elle a eu un sourire doux.
“Tu es venu.”
J’ai hoché la tête et me suis assis à côté d’elle. Elle m’a demandé comment s’était passée la fin de ma
semaine. J’ai été surpris par l’intérêt qu’elle portait à ma vie banale et grise. La sienne semblait
tellement infinie à côté. Pleine de songes et d’espoirs d’un avenir devenant un peu plus beau chaque
jour. Mais ce qui l’intéressait était ma vie plate et morose.
J’ai sorti mes papiers et mon crayon et nous avons commencé ma liste. Abbie m’a conseillé de
commencer par des choses simples et sans prise de tête. Des choses réalisables vite. Manger une
glace. Regarder le coucher de soleil. Avoir un fou rire. J’ai ainsi rempli ma feuille avec des dizaines
d’idées plus douces les unes que les autres.
Nous avons longuement discuté. Elle a eu un saignement de nez qui a tâché ma liste et elle a pris le
crayon pour dessiner un personnage loufoque à partir de la forme de la trace. J’ai pu cocher Avoir un
fou rire. Puis nous avons marché ensemble avant de nous séparer en convenant de nous retrouver le
samedi suivant pour poursuivre nos listes.
C’est ainsi que pendant deux mois nous nous sommes vus tous les samedis. Nous avons mangé une
glace à la plage, regardé le soleil se coucher par-delà les collines. Nous sommes allés au lac perché
dans la montagne où seul le bruissement des arbres venait troubler le silence. Nous nous sommes
baignés et Abbie s’est laissée flotter sur le dos, les oreilles dans l’eau, appréciant le calme. Nous
sommes restés jusqu’au petit matin à observer les étoiles. Nous avons fait mille et une aventures,
toutes plus irréelles les unes que les autres.
Nous avions créé une nouvelle routine. Se retrouver le samedi et partir en expédition afin de cocher
chaque élément de nos listes. Elle me faisait sourire, je la faisais rire. Elle sautait, chantait, dansait et
je me contentais de l’observer comme je l’ai toujours fait, jusqu’à ce qu’elle m’entraîne à sa suite.
Avec elle, je me sentais moi. Je me sentais vivant.
Mais un jour, notre routine fut brisée.
Nous étions allés à la fête foraine. Abbie avait toujours voulu essayer la grande roue qui surplombe la
ville et le port. Là-haut, elle s’est sentie nauséeuse alors nous avons passé de longues minutes à
marcher, le vent frais caressant nos nuques. Nous nous sommes installés sur une butte en amont de
la place et nous avons regardé les lumières rouges et or danser. Puis elle s’est levée et m’a tendu sa
main.
“Danse avec moi.”
Je pensais qu’elle allait m’entraîner dans ces danses endiablées dont nous avions l’habitude. Au lieu
de cela, elle s’approcha de moi et, s’accrochant à ma nuque, elle m’a incité à tournoyer lentement
tandis que j’attrapais sa taille. Le moment semblait suspendu dans le temps. Nous nous regardions,
semblant vouloir déchiffrer les pensées de l’autre sans pouvoir les atteindre. Un air apaisé remplaçait
son éternel sourire. Mais elle s’est ensuite assombrie.
“Tristan... J’ai quelque chose à te dire.”
Je l’ai regardée, interdit. Elle me semblait si vulnérable en cet instant, elle qui avait toujours été la
plus forte de nous deux. Lorsqu’elle a levé ses yeux larmoyants vers moi j’ai remarqué le filet de sang
qui s’écoulait de nouveau de sa narine droite. J’ai sorti un mouchoir avec empressement et lui ai délicatement tamponné l’arc de Cupidon. Elle m’a alors attrapé le poignet, me forçant à m’arrêter et
m’a posé une seule question.
“Es-tu heureux ?”
Je l’ai fixée et pour une fois, je n’ai pas tardé à répondre.
“Oui. Oui, je suis heureux.”
Elle m’a souri et une première larme a dévalé sa joue.
“Tant mieux. Parce qu...”
Ses yeux se sont alors révulsés et ses jambes se sont dérobées sous elle. J’ai plongé pour la rattraper
et lui ai crié de se réveiller. La serrant dans mes bras, j’ai répété son nom sans cesse, encore et
encore, comme s’il s’agissait d’une formule magique pouvant lui faire ouvrir les yeux. Mon visage
s’était inondé de larmes tandis que ma voix se brisait dans mes sanglots.
Ce jour-là, j’ai appris la vérité.
Tu étais dans ce lit d’hôpital. Je t’avais apporté des fleurs. Des lys. Tes préférées. J’avais pris ta main
dans la mienne, détaillant ton visage creusé et blafard. Je serrais ta main comme si je pouvais te
transmettre de quoi guérir. Mais le cancer te dévorait et je ne pouvais rien y faire. Tu as posé ton
autre main sur la mienne. Tu m’a tristement souri et une larme a fait son chemin jusqu’à ta mâchoire.
Je suis revenu chaque jour qui a suivi. Tous les jours je t’ai rapporté des fleurs. Tous les jours je t’ai
serré la main et me suis noyé dans ton regard. Tous les jours je t’ai raconté ma journée banale pour
te faire oublier que tes organes lâchaient à petit feu. Tous les jours j’ai été là. Parce que tu étais
devenue une partie de moi.
Tu es partie un matin d’hiver.
Tout avait commencé par un carnet. Puis il y avait eu toi. Et maintenant la seule chose qui restait
était de nouveau ce carnet. Lorsque je suis rentré chez moi ce soir-là, la première chose que j’ai faite
est de soulever cette illustration de papillons. Je voulais te relire, te revoir entre les mots, t’entendre
rire derrière chaque poème, sourire derrière chaque dessin. A la place, j’ai trouvé une lettre.
Tristan,
Si tu lis ceci c’est que je ne suis plus là. Je sais que tu te sens perdu. Je te connais plus que tu ne
l’imagines.
Je te voyais tous les matins dans ce bus. Et tous les matins je sentais ton regard sur moi. Lorsque tu es
venu me rendre ce carnet, j’ai vu l’ampleur de la détresse dans tes yeux. Alors je t’ai retenu.
Je voulais te rendre heureux. Pour faire ce qui était juste. Et petit à petit je t’ai découvert. Et j’ai appris
à t’aimer. C’était ce que je voulais te dire ce soir-là. Mais la maladie a gagné.
Je ne veux pas que tu sombres. Je veux que tu vives, comme nous avons vécu. Je veux que tu rêves,
que tu t’émerveilles. Alors sois heureux pour moi s’il te plaît. Termine ta liste... et la mienne.
Je serai toujours avec toi. Je t’aime Tristan.
Abbie.
Je n’ai pas dormi cette nuit-là. J’ai simplement serré la lettre contre moi comme si c’était toi que
j’avais dans mes bras.
J’ai mis plusieurs semaines avant de regarder de nouveau ma liste. Il ne restait plus beaucoup de
points à réaliser. J’ai pensé que je pourrais te rejoindre une fois tout cela fini, mais ensuite j’ai
regardé ta liste. Et j’ai su que ce n’était pas terminé. Je ne devais pas perdre espoir. Pour toi.
Car la dernière chose que tu voulais faire avant de partir était Sauver Tristan.
FIN.
I.
Il pleut. Je viens seulement d’en prendre conscience. Je regarde les fines gouttelettes s’écraser sur le sol en produisant un léger -Floc-. La beauté de cette mélodie m’étonnera toujours. Il faudrait que je rentre. Je me lève des marches mouillées, où j’étais assise, et allume une cigarette.
Oui, il faudrait vraiment que je rentre, le chat doit avoir faim. Le chat. Le dernier compagnon d’infortune qu’il me reste. Je passe devant le petit tabac de ma rue et, par habitude, entre m’acheter un paquet de ces petits bonbons acidulés. Derrière le comptoir, la vendeuse me fait un grand sourire. J’essaie de le lui rendre. J’ignore si ma tentative a réussie ou échouée, mais cela n’a pas d’importance. Il y a un calendrier placardé au mur, derrière la vendeuse. Un de ces calendriers aux couleurs criardes, qui arborent fièrement des images de chiots ou d’adorables chatons. Machinalement je lis la date. 25 avril. Mon cœur manque un battement. Un an. Déjà un an. Le 25 avril dernier, ce jour-là où tout a basculé. Ma vie entière. D’abord l’annonce de la maladie de ma sœur. Cette impuissance face à la fatalité, ce désespoir face à l’inévitable, qui a marqué à jamais ma conscience. L’être humain a cette capacité d’ignorer sa finalité, à vivre dans le déni de sa propre mort, jusqu’à ce que cette dernière se rappelle à lui. Au final, nous sommes tous différents dans notre individualité, mais semblables dans le trépas. Puis un mois après son décès, Jacques est parti. Cet homme que je considérais comme l’amour de ma vie, à qui j’avais tout donné et que j’avais suivi jusqu’à l’autre bout du monde. Il m’a quitté. Il a laissé derrière lui une crevasse dans mon cœur. J’y croyais dur comme fer. Je vivais probablement dans un songe, anesthésiée par les promesses de lendemain, enivrée par le parfum capiteux des contes de fée. Très vite la rage et le désir de vengeance ont laissé place au vide et à la résignation. Je trainais mon corps à la maison comme au travail. Et puis il y a trois mois on m’a licenciée. On m’a gentiment fait comprendre que mon air maussade et mes problèmes personnels ne collaient pas avec l’atmosphère de l’entreprise. Une tache de vin sur la nappe immaculée du professionnalisme. Ça n’arrive qu’aux autres. C’est ce que je me disais. Finalement, je fais partie de ces « autres ». « - Vous avez fait votre choix ?
Tirée de mes pensées je fixe la vendeuse. Je marmonne une approbation et lui tends mon paquet de bonbons.
- Vous savez je pense que la vie est un cadeau. Parfois difficile, mais un cadeau quand même. Il suffit simplement de trouver la part cachée en nous qui y croit encore. » Sourire plaqué au visage, taches de rousseurs et joues de poupée, la vendeuse a un petit air enfantin qui contraste avec la profondeur de ses paroles. Elle attend probablement une réponse, mais c’est au-dessus de mes forces. Je sors et prends une grande bouffée d’air. J’ignore exactement pourquoi, mais sa réflexion m’a perturbée. Elle me fait ressentir un sentiment que ne saurai définir avec exactitude. C’est étrange comme les mots peuvent parfois nous échapper. J’arrive devant mon immeuble, en espérant de tout cœur ne rencontrer personne. Une habitude que j’ai prise, éviter la vie, les conversations inutiles et les regards inquisiteurs. Hantée par l’impression d’être marquée au fer rouge, de porter sur moi le linceul de mes vaines espérances, reconnaissable entre tous et par tous. Je m’enfonce dans mes pensées obscures, comme je m’enfoncerai dans des eaux profondes et noires, dans lesquels tourbillonneraient les vestiges et fantômes du passé. Âmes maudites, mémoire éreintée, néant subliminal...
« Bonsoir ! »
II.
Elle est petite. Comme un bourgeon de fleur sur le point de s’ouvrir. Deux tresses soyeuses encadrent un minuscule visage d’enfant. Elle porte un pull-over rouge bien trop grand pour elle. La chose la plus perturbante sont ses yeux. De beaux yeux bleus. Elle a un regard troublant qui parait
trop adulte pour une enfant de son âge. Un regard qui sait, détaille et définit le monde, comme si elle avait déjà vécu une multitude de choses, percé les secrets de la vie, sondé les méandres de la conscience humaine. Elle ne doit pas avoir plus de sept ans. Et elle vient de me couper dans mes sombres réflexions.
« - J’aime bien ton manteau, il est joli ! Tu sais que la couleur verte est symbole d’espoir ? Moi, oui, c’est pour ça que c’est ma couleur préférée.
Loin de se formaliser de mon silence, la petite fille continue son monologue. Ses parents ne doivent pas être loin, et faute d’avoir mieux à faire, je m’installe sur les marches à côté d’elle. C’est vrai qu’il est chouette mon manteau. Un peu défraichi et délavé mais toujours aussi agréable à porter.
- Tu ne crains pas d’être seule ?
- Non, je ne crains pas grand-chose. Sauf les araignées et les loups. Mais il n’y a pas de loups ici.
Je réprime un sourire, ce qui n’était pas arrivé depuis bien longtemps. Le grand méchant loup, l’ennemi commun de tous les enfants.
- Tu es bien courageuse dis donc !
- Ce n’est pas une question de courage. Ma mamie dit que la vie est trop courte pour avoir constamment peur. C’est comme une maladie, la peur s’accroche à toi, te tire en arrière, t’empêche d’avancer et finalement tu te rends compte, trop tard, de toutes ces occasions manquées. Moi je
préfère lui dire de se taire.
- Tu es très intelligente pour une petite fille de ton âge.
- C’est rigolo, tout le monde me dit ça mais moi, je n’ai pas l’impression d’être très différente des
autres.
Génial. Une gamine, haute comme trois pommes, a plus de courage que moi. Je dois admettre qu’elle n’a pas tort. Si je ne m’étais pas enterrée dans la peur de l’échec, dans la peur de refaire confiance aux autres, les choses se seraient-elles déroulées autrement ? Elle me fixe, avec l’air de quelqu’un qui attend l’autorisation de parler. Encore un peu et elle lèverait la main, comme à l’école. Je lui lance un regard interrogateur et cette dernière se décide enfin à poser la question qui lui brûle la langue.
- Pourquoi tu as l’air si triste ?
- Parce que la vie ne fait pas de cadeau. Parce que j’ai perdu des gens que j’aimai et que je n’ai plus
envie d’avancer.
- Pourquoi ?
- Ah quoi bon. Si tout est éphémère pourquoi toujours se battre ?
- Mais...c’est du passé non ?
Bim ! en plein dans le mille. C’est du passé... oui ça l’est. Alors pourquoi je m’y attache à ce passé ?
- Moi quand j’ai un mauvais souvenir dans la tête, je ferme les yeux et je chante une chanson que j’aime bien. Comme ça j’ai de nouveau envie de les ouvrir et voir le monde. C’est quoi ta chanson préférée ?
- Et bien je dirai... Goodbye yellow brick road de Elton John.
- Ferme les yeux et chante alors. »
Pourquoi pas après tout ? Je n’étais plus à ça près. Je fredonne:
« So goodbye yellow brick road, where the dogs of society howl, you can't plant me in your
penthouse, I'm going back to my plough...»
III.
Les souvenirs remontent. J’ai quinze ans, ma sœur écoute cette musique sur la terrasse de la maison. Elle porte cette robe à fleurs qu’elle affectionnait tant. Il fait chaud, je tresse lui les cheveux. On faisait toujours ça. Je l’entends fredonner la chanson. On était heureuses, c’étaient des moments simples et pourtant si importantes. Dans quelques minutes je vais suivre ma sœur dans le jardin jusqu’au grand pin où nous nous allongions lorsque nous regardions les étoiles. Il étendait ses longues branches, comme pour nous protéger de la vie. L’odeur de pin, le tapis d’aiguilles, la nuit chaude et envoutante...une douce chaleur m’envahie. Un autre souvenir, à une autre époque. Moi, probablement à vingt ans. Ma sœur est là. Elle joue de la guitare autour d’un feu. Toujours cette chanson. Ma mère est également présente. Ça fait combien de
temps que je ne l’ai plus vue ? J’ai l’impression d’être dans un rêve. J’avais oublié tous ces souvenirs. Les balades au bord de l’eau, les pâquerettes piquées dans les cheveux de ma soeur, l’abricotier dans le jardin, ma passion pour les étoiles...
« - Alors ?
- Tu as raison ça fait du bien. Dis-moi tu aimes la vie ?
- J’adore la vie !
- Qu’est-ce-que tu aimes ?
- J’aime le chocolat. C’est sucré et doux. J’aime la mer. C’est super beau, impressionnant et tellement
vaste ! Ah ! J’aime aussi le bruit de la pluie.
- Moi aussi. Ce qui est incroyable c’est que cette mélodie est constituée d’une multitude de petites
gouttes qui, seules, ne produisent qu’un moindre effet mais qui, ensemble, produisent une musique si
belle et puissante.
Pour la première fois depuis des mois je me sens apaisée. J’écoute la fillette énumérer ce qu’elle
aime. Les fleurs. C’est vrai que ça sent bon et que c’est coloré. Evidemment que j’aime les fraises. Et
les châteaux ? Oui, aussi. Surtout Versailles. Elle aime dessiner comme moi. Elle aime la danse, le
piano, jouer au ballon, Noël, les lapins, la guitare, le soleil, le vélo, aller au cinéma, lire des livres, les
bougies, les papillons, la famille, allumer les lanternes dans le ciel...Allumer les lanternes dans le
ciel ?!
- Pardon ?
- Bah oui, comment elles font les étoiles pour briller sinon ?
- Et bien ce sont des boules de gaz avec... Laisse tomber. Tu disais quoi déjà ?
- Les étoiles ce sont des lanternes et tous les soirs un monsieur vient les allumer pour qu’on puisse les admirer sur Terre. Plus tard c’est ce que je ferai comme métier. Allumer les lanternes du ciel.
Adorable.
- Alors pourquoi tu n’aimes pas la vie, si tu aimes tout ce qui la constitue ?
Sacrément éveillée la gamine. C’est vrai ça. Le passé ne guérit pas mais on peut l’adoucir. Et si j’arrêtais de ressasser ce dernier ? Ça fait combien de temps que je n’ai pas vu ma propre famille ? Combien de temps que je n’ai plus savouré de plaisirs simples ? Que je n’ai plus cherché à faire de nouvelles rencontres ? C’est comme une gifle pour me réveiller. Tellement centrée sur le négatif, sur ce que j’ai perdu que je ne profite pas de ce qu’il me reste. Je ne vois que ce que je n’ai plus. À défaut de laisser cicatriser mes plaies, j’en arrache le bandage pour les faire saigner davantage. Je n’ai jamais voulu me reconstruire. J’en voulais aux gens d’avoir ce que je n’ai plus, sans me soucier de ce qu’eux
avaient peut-être perdu.
- Merci
- Pourquoi tu me remercies ?
Il ne pleut plus.
- Pour rien petite, pour rien.
- Tu es marrante tu sais. Moi j’aime les gens rigolos qui sourient et racontent des blagues. Parce que
leur compagnie est plus agréable et parce qu’ils sont comme des petits soleils. Tu ne veux pas être un
petit soleil ?
Il fait nuit. Le ciel est magnifique ce soir.
- Si. Je veux devenir un petit soleil. Tu t’appelles comment au fait ?
- Espoir.
- C’est un très joli prénom ça.
- Oui je l’aime mon prénom..
- Dis-moi y-a-t-il un chose que tu n’aimes pas ?
- Les gens tristes c’est pour ça que je vais les voir pour leur parler, jusqu’à que ça aille mieux. Après je
m’en vais.
Les lanternes sont allumées dans le ciel.
- Et bien c’est réussi Espoir.
- Je sais, je le vois dans tes yeux. Au revoir Sonia !
- Attends ! »
Elle avait disparu.
IV.
Aujourd’hui je ne sais toujours pas si je l’ai imaginée ou si cette petite fille était bien réelle. Elle me semblait si réelle. Était-ce un songe éveillé ? Un mirage ? Une illusion ? Peu importe. Pour moi. Espoir symbolisera toujours ma guérison, la partie, longtemps cachée mais enfin découverte de moi-même, qui lutte et aime la vie. Le sel dans la mer, les gouttelettes de pluies, les pétales de la fleur... À défaut d’allumer les lanternes dans le ciel, Espoir a rallumé celle de mon cœur. « Back to the howling old owl in the woods, hunting the horny back toad, oh, I've finally decided my future lies, Beyond the yellow brick road, Ah, ah! »
Comme depuis plusieurs jours, il se réveilla en sueurs, le cœur battant, les larmes aux yeux. Il avait en mémoire un souvenir relativement précis de la scène qu’il revivait chaque fois avec autant de stupeur. Du moins, il s’en souvenait bien les premières minutes. Mais la sensation de revoir sa mère demeurait toujours aussi douce-amère. « Pardon ! », l’implorait-t-il. Elle restait figée, consacrée à ses flux de pensées. C’était une intellectuelle, elle était imperturbable. Leurs regards ne se croisaient jamais. Dans le fond, il savait qu’elle ne lui en voulait pas, comme si sa demande de pardon avait été reçue, validée, entrée dans une zone imperceptible du dialogue et revenue avec un vague sentiment
de consolation.
Ces rêves revenaient fréquemment, dans des moments de vie qui semblaient hasardeux. Ils se présentaient de manières variées, mais seul le fond de l’histoire demeurait similaire. Cela faisait maintenant une dizaine d’années qu’elle était décédée. Mais l’impact de sa disparition avait laissé des séquelles profondes, une restructuration complète de son identité. Toutes ces années ne furent pas dédiées à la lamentation, mais la tristesse se manifestait de manière bien plus subtile et invisible.
Il avait intégré des schémas d’autopunition et de destructions involontaires qui se révélaient dans sa relation aux autres, et particulièrement dans ses relations amoureuses. « Pourquoi je ne pars pas ? » restait sans réponse. Sa mère, premier modèle de féminité, était quelqu’un de fondamentalement gentille, douce, empathe. Il ne se doutait pas que toutes n’avaient pas ces qualités.
Il ressentit ce matin-là l’envie de s’emmitoufler dans l’ancien manteau de sa mère qu’il avait conservé. Il essayait de ne pas le porter de manière trop récurrente, en tant qu’objet de désolation affichée. Etant étudiant, ce manteau était chaud et de bonne qualité, et il n’avait pas les moyens de s’en acheter un similaire. Mais aujourd’hui s’il le portait, c’était bien pour réchauffer son cœur. En l’enfilant, il sentit un objet rigide cogner contre sa main. En l’inspectant, il se rendit compte que la couture de la poche interne avait cédé, et que des objets s’étaient enfouis dans la doublure. Il y trouva une petite boîte de plastique contenant un film négatif de photographie argentique qui n’avait pas été développé. Interloqué et curieux de sa découverte, il s’empressa de l’apporter à un laboratoire de développement pour découvrir les photos contenues.
« Toutes mes excuses, mais je n’ai rien pu faire », lui annonça le professionnel du laboratoire. Plusieurs semaines après qu’il lui ait confié son précieux trésor, il découvrit que le film était périmé depuis trop longtemps. Il tenait en ses mains le résultat décevant de ses attentes. Le film était brouillé, grisâtre, on n’y apercevait que des masses informes, impossibles à situer. Frustré, et quelque peu en colère de cet ascenseur émotionnel, il devait alors renoncer à toutes les suppositions qu’il s’était formulé sur le contenu de ces précieuses photos. Il faut dire qu’à la mort de quelqu’un, seuls les objets et les dialogues font office d’indices de l’identité du disparu.
Cependant, la date de prise de vue demeurait lisible sur les pourtours du film. C’était une date qui lui était connue, qui résonnait encore en lui jusqu’aujourd’hui. Elle avait pris ces photos le jour où ils avaient eu la réponse pour le concours pour lequel ils avaient participé ensemble. Il s’agissait d’un concours d’un magazine de vulgarisation scientifique et technique pour les enfants, qui proposaient d’imaginer et de construire une machine dont la fonction serait originale. Ils avaient remporté le premier prix avec leur « aspirateur à larmes ». Il s’agissait tout simplement d’un système réduit d’un aspirateur à eau et à poussière, avec une utilisation déviée. C’était un moyen humoristique pour une mère désarmée, de faire rire son petit garçon en pleurs. Maman l’avait utilisé pour la première fois lorsqu’il s’était blessé au genou. Bien sûr, il se serait mal imaginé sa mère l’utiliser pour des soucis de cœur. Mais, pour ça, elle était partie trop tôt, et aura manqué cette occasion de tenter son
utilisation.
Il tenait en ses mains le film photo effacé, ce souvenir manqué, mais daté. Après tout, il était bien réel, et il le tenait entre ses mains. La preuve tangible de ce rire partagé. Ce jour-là, à l’annonce du fait qu’ils avaient gagné, elle s’était mise à le poursuivre dans tout l’appartement avec l’aspirateur à larmes. Ils avaient fini par s’écrouler de rire sur le canapé. La machine ce jour-là finit par aspirer des larmes de joie, celles que l’on expulse lorsque les abdos travaillent fort après avoir ris follement.
Finalement, cette machine était tant risible que la simple évocation de l’objet apportait le sourire. C’est d’ailleurs ce qui se produisit. La machine n’avait même plus la nécessité d’être présente pour apporter la joie, son simple souvenir suffisait. Sa fin tragique n’enleva d’ailleurs en rien le comique de la situation, lorsque son papa décida que ce fut un bon « aspire-miettes de table ». Enfant, cela l’amusait alors beaucoup de s’imaginer que la table pleurait de sa séparation avec la famille après chaque fin de repas, et que Papa devait sécher les larmes de Table. Aujourd’hui c’était lui qui souffrait de ne partager son repas avec personne.
Au sortir du laboratoire, le garçon se tenait au milieu de la rue, songeur. Ce film illisible suffisait à raviver pleinement sa mémoire. Il sourit, nostalgique. Sa mère, d’habitude si discrète sur ses émotions, avait donc voulu conserver le souvenir heureux de cette journée, et cela le toucha
profondément. Elle ne manifestait que peu de choses de ses envies, ses préférences, ses joies ou ses peines. Mais elle était toujours à l’écoute. Savoir que cette journée était un moment de bonheur partagé raviva l’émotion et la projeta au présent.
Le reste de la journée se déroula. La vie continua, et de temps en temps encore, le garçon revoyait sa mère en ses rêves. Il lui parlait, tandis qu’elle, semblait toujours inaccessible. « Pardon ! Pardon, Maman ». Il n’existait pas de dialogue. Lui seul parlait, alors qu’elle restait dans une posture sage et distante. Pourtant, elle entendait. Il le savait. Ce n’est qu’en grandissant que les enfants se soucient de qui sont ses parents, et s’intéressent à leurs identités. Il aurait aimé lui poser des questions. Mais celles-ci demeureront sans réponses. Il pensait bien que tout cela n’était que le fruit de son inconscient. Ces manifestations en rêve, perturbantes, tristes et joyeuses, ne pouvaient provenir que de lui. Pourquoi alors n’avait-il donc pas un droit de réponse ? Jamais elle ne la regardait dans ses rêves. Jamais non plus il ne saura quelle aura été sa couleur préférée, et puis pourquoi elle aimait tant la culture celte, ou encore l’histoire de ce drôle tableau au point de croix d’une chimère aux dimensions exorbitantes accroché dans la cage d’escalier.
Il tenta alors de trouver un sens avec la rencontre de ce souvenir. Oui, c’était sûr, s’il était retombé sur ce négatif, c’était forcément un signe de la Vie, de l’Univers, de sa Mère qui voulait qu’il en fasse quelque chose. Fallait-il qu’il arrête les études, et qu’il se réinvente une vie dans la capitale pour lancer son entreprise d’aspirateur à larmes ? Ou de manière plus subtile, devenir ingénieur ? Ou, non, mieux encore ! Qu’il diffuse gratuitement son invention pour que les associations puissent l’utiliser afin de faire rire les enfants malades dans les hôpitaux. Pas convaincu, il continue d’y réfléchir. Après tout, il avait trouvé que l’idée d’envoyer des clowns dans les pays en développement pour faire rire la population locale ressemblait à une sacrée idée de merde, du moins en surface. A défaut de faire rire, ça le faisait au moins ricaner.
En réalité, l’espoir que tout cela ait un sens était primordial. Le décès de Maman avait tant influencé le cours de sa vie, que c’était impensable pour lui de s’imaginer qu’il n’y avait pas de sens, d’apprentissage à en tirer. Si aucune résilience n’est possible, à quoi bon ? Mais l’acceptation de la mort n’est-elle pas un défi terrible, la quête de la résolution de la prétendue absurdité de la vie ?
Avec les années, il réussit à transmuter sa douleur dans la création, s’intéressa à la musique et à l’art de la composition. Il chantait, et parfois poussé par ses amis, donnait des petits concerts dans des scènes locales d’improvisation, dont il ressortait fier, avec l’impression de s’être surpassé pour quelque chose de grand. Mais comment poursuivre le chant lorsqu’il aurait besoin de crier ? Il avait beau avoir du coffre, son corps lui semblait trop petit pour contenir tout l’air nécessaire au hurlement de sa peine. L’adrénaline redescend. La douleur ne s’estompe jamais vraiment. Elle revenait parfois, s’installait le temps de quelques jours, puis repartait comme si elle n’était jamais venue. Les souvenirs surgissent, mais les détails du visage s’estompent. Dans sa chambre, à côté des photos de ses proches fût accroché le négatif brouillé qu’il avait fait développer. Comme pour tous, ses problèmes trouvèrent résolution avec le temps, bien souvent quand il cessa d’y consacrer trop de pensées. Mais surtout, quand son cœur s’apaisa, il rencontra à nouveau sa mère en son rêve. Cette fois, leurs regards se croisèrent.
« Pardon », lui demanda-t-elle à son tour. Il s’approcha d’elle, et essuya la petite larme qui coulait en miroir sur chacun de leurs yeux et ils rirent ensemble à l’idée qu’il faudrait aussi aspirer celles de Table qui ne cesse de pleurer de solitude. Et que peut-être, ensembles, ils resteraient ensuite dîner pour toujours. Au réveil, bien que perturbant, son rêve l’enthousiasma. Rester assis à un dîner pour toujours, ce n’était définitivement pas sa volonté. Il lui restait encore bien trop d’endroits à explorer.
Et bien d’autres personnes à rencontrer. Son monde, progressivement, s’élargissait. Cependant, un détail n’avait pas manqué de lui échapper. Jamais encore il ne lui sembla autant qu’il avait hérité de ses yeux.